Mar 30, 2010
• A Single Man
« Mon Dieu, vous parlez comme un de ces lugubres intellectuels français qui viennent de poser le pied à New York pour la première fois ! C'est exactement la façon dont ils parlent ! Irréels ! Les motels américains sont irréels ! Ma chère enfant – vous et moi savons que nos motels sont délibérément conçus pour être irréels, si vous devez utiliser ce jargon idiot, pour la très simple raison qu'une chambre de motel américain n'est pas une chambre dans un hôtel, c'est la chambre, sans aucun doute, point final. Il n'y en a qu'une : La Chambre. Et c'est un symbole – une publicité en trois dimensions, si vous préférez – pour notre mode de vie. Et quel est-il, ce mode de vie ? Un code de construction qui exige certaines mesures, une certaine viabilité et l'usage de matériaux appropriés, ni plus ni moins. Tout le reste, il vous faut l’obtenir. Mais allez dire cela aux Européens! Cela les fait mourir de peur. La vérité, c'est que notre mode de vie est beaucoup trop austère pour eux. Nous avons réduit le plan matériel à sa plus simple expression symbolique. Et pourquoi ? Parce que c'est la première étape essentielle. Jusqu'à ce que le plan matériel a été défini et relégué à sa juste place, l'esprit ne peut jamais être vraiment et entièrement libre. Cela paraît évident. Le plus stupide des Américains le comprend intuitivement. Mais les Européens nous considèrent inhumains – ils préfèrent dire immatures, ce qui est plus méchant encore – parce que nous avons renoncé à leur monde de différences individuelles, d’inefficacité romantique et d’objets qui ne sont là que par amour d’eux-mêmes. Tout ce culte mortifère pour les cathédrales, les éditions originales, les mannequins parisiens et les vins millésimés. Naturellement, ils n'abandonnent jamais, ils continuent à essayer de nous renverser à tout moment avec leur propagande répugnante et sectaire. Si jamais ils réussissent, nous seront faits. La Commission sur les activités anti-américaines ferait bien d’enquêter sur ce genre de subversion. Les Européens nous haïssent parce que nous nous sommes retirés pour vivre à l’intérieur même de nos publicités, comme des ermites qui entrent en contemplation dans leurs grottes. Nous dormons dans des chambres symbolique, prenons des repas symboliques, somment symboliquement divertis – et c’est ce qui les effraie, ce qui les remplit de fureur et de dégoût, car ils ne pourront jamais comprendre. Ils ne peuvent s’empêcher de crier : « Ces gens sont des zombies ! » Ils font semblant d’y croire car l’alternative serait de céder et d’admettre que les Américains sont capables de vivre ainsi car leur culture est effectivement infiniment plus avancée – cinq cents, peut-être mille ans d'avance sur l'Europe, ou d’ailleurs toute autre personne sur terre. Nous sommes essentiellement des créatures de l'esprit. Notre vie est dans notre esprit. C'est pourquoi nous sommes complètement à l’aise avec des symboles tels que la chambre de motel américain. Alors que l’Européen, ce petit matérialiste rampant, a les symboles en horreur… ».
Christopher Isherwood, A Single Man, 1964
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